BANQUET XII – CÉLÉBRATION

célébration

Célébration – le 27 septembre 2013 – banquet à la française en ambigu & services de crédence donné pour 350 convives au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux. Conçu & réalisé avec Gabrielle Arnaud, Hugo Bregeau, Jean-Baptiste Carobolante, Dieudonné Cartier, Teddy Coste, Victor Delestre, Paul Garcia, Jérémie Gaulin, Thomas Gautier, Daniel Hope, Nicolas Hsiung, Julien Journoux, Noémi Koxarakis, Ronan Le Creurer, Nicolas Moreau, Lorette Sagouis & Louis Zebo.

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Ce qui a lieu comme œuvre ne l’est que parce qu’il y a une demande et une adresse, et parce qu’il ne s’agit en aucun cas ni d’un métier ni d’un savoir faire singulier. Mais d’une pratique usuelle transposée dans le commun et le musée : préparer à manger et manger. Manger peut devenir une sculpture. Le banquet est un prétexte à l’inévidence de l’œuvre et à sa possible dégradation.
Pour que le musée s’acte non comme remise ou débarras mais comme réserve, comme espace paradigmatique, il doit réintégrer, dans la présentation de l’époque, l’activité même du contemporain, son opérativité. La réserve est l’interrogation de la fixation des actes par le commun. La réserve n’est pas le repli à l’intérieur du musée, mais son prolongement. Le banquet est la possibilité d’y produire ces écarts : pour nous demander comment faire entrer dans cet espace physique et fantasmé les nouvelles muses et réinterpréter la portée politique et éthique des actes.
Le musée est une garde dans laquelle nous devons saisir ce que signifie re-garder.
La modernité pense de manière critique la production, de sorte que ce n’est pas l’objet qui fait œuvre. Vient ensuite le principe d’insincérité – cher à Broodthaers – qui consiste à tenter de penser les relations entre économie et poétique. Enfin l’idée de la troisième sculpture – chère à Ben Kinmont – qui consiste à entendre que toute activité peut devenir de l’art si elle est pensée, justement, en terme de production, d’économie et de poièsis.
Quelques fois, dit Ben Kinmont, la plus belle sculpture est celle qui fait vivre sa famille (Sometimes a nicer sculpture is to be able to provide a living for your family).
L’achèvement de l’œuvre dit que l’interrogation des rapports que nous entretenons entre production et poématique n’est pas achevée, c’est-à-dire insuffisamment pensée.
Le banquet est un rassemblement autour d’une expérience commune, ce temps de l’apparition des paroles non figées, le prétexte à l’appréhension de l’autre comme interlocuteur, et à l’apparition d’un espace critique en périphérie. Il initie, clôture ou ponctue des prises de positions, des actes, des adresses.

Édition à 350 exemplaires (offset 120 x 18 cm), numérotée, signée et tamponnées

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Texte

Si l’on suit la formule que tu as employée il y a quelques jours sur les rivages de la Méditerranée, la pensée se désengage de la dépense, alors il nous faut en comprendre les enjeux. Que signifient les termes, penser, dépenser, désengager ? Comment pouvons-nous engager une déconstruction de cette formule, en sachant qu’il y a ici un paradoxe comme sens même de la métaphysique occidentale ? Comment le pensable peut-il être hors de mesure de tout ce qui est engagé dans la dépense ? En ce sens nous devrions être en mesure de pouvoir indiquer ce que signifie, pour nous, un engagement dans le dépensable.

Si penser dit ce qui est relatif à la mesure, à l’évaluation, dépenser est la consommation de cet acte. Le désengagement est ce qui fait dévier la trajectoire initiée par le mouvement. Le paradoxe se trouve dans le fait que la pensée peut se regarder dans son propre mouvement tout en en produisant un autre. La pensée est un mouvement qui permettrait de faire entrer toutes les temporalités dans un continuum, dans des parts de présent ; la dépense serait peut-être ce qui use ce qui a été rassemblé – par le logos – pour le dispenser de fixation et pour relâcher pour l’autre ce qui est en trop afin de lui donner à voir la possibilité d’une chose ; le désengagement serait alors induit par la dispense de la pensée qui, dans le temps, lui offre la possibilité d’objectiver pour l’autre et de chosifier en vue de l’interrogation particulière de l’agir poétique. La pensée pèse ce qui est à disposition dans un temps donné, et rendrait la présence au monde appréhendable dans ce qu’elle sélectionne et organise ; dans cet acte de mondanisation le temps donné est peut-être ce qu’Heidegger appelle le quotidien. Par tranches, par slices, par épokè, la pensée s’arrange du monde et range économiquement et efficacement les fournitures, ce qui vient, ce que l’homme fait venir comme objet. Il ne peut y avoir dépense que comme perte de ce qui a été engrangé, assimilé, capitalisé, une perte qui permet de recevoir à nouveau car un espace vide a été créé. Le pensable peut être hors de mesure de ce qui est engagé dans la dépense, parce qu’il y a perte de ce qui n’est pas mondanisé, de ce qui est indicible : « ce qui, du monde, n’est pas mondanisé, reste du monde, hors limite et hors rivage de la sémiotisation et des langages ». La pensée est illimitée mais délimitée par ce qu’elle mondanise, la dépense est limitée par le fait que la pensée délimite et concerne. Est-ce que l’engagement dans le dépensabble peut être ce qui est déposé comme gage dans les mains de l’autre, comme garantie et reconnaissance ? Est-ce que l’objet d’art peut être cet engagement dans le dépensable, en interprétant l’objet d’art comme un langage particulier adressé, comme dépense de temps et d’argent, et comme tentative de mettre en gage ce qui peut être dépensé ? L’objet d’art est le délai nécessaire à la perception du mouvement, le désengagement par l’exposition d’une temporalité comme présent, passé, futur ; il est le prétexte au commentaire, à l’interprétation singulière, à la puissance de l’œuvre. Y a-t-il une nécessité de la dépense, comme faire place et sélection du mieux, comme distribution pour l’autre et réorganisation pour soi ?

Admettons alors qu’il soit impossible de tenir la formule la pensée se désengage de la dépense. D’abord parce que le pensable n’est jamais en mesure de sortir de ce que signifie l’usage de ce qui est donné ou pour demeurer dans l’acte. Il y a donc bien ici un problème métaphysique du retrait de la pensée du dépensable. Dans ce cas elle est alors hypostasiée et ouverte à la possibilité de l’esprit absolu et de ses conséquences ravageantes : la première est d’avoir conçu l’idée d’un absolu (de l’esprit) interne à l’homme, la seconde est d’avoir assumé que la propriété est de facto interne à l’homme. La conséquence en est l’affirmation de la puissance d’objectivation : le pensable et la propriété comme objets purs. Or, il s’agit bien de trouver ce qui demeurerait dépensable, c’est-à-dire partageable en dehors de toute mesure absolue de ce qui est objectivement pensée et propriété. Il faut donc interpréter la dépense, ainsi que tu le suggères, comme ce qui est usage et dispense. Dépenser signifie faire usage en absorbant le sens du préfixe de-, c’est-à-dire en saisissant ce qui constitue la différence. Est différent ce qui se maintient séparé, en tant qu’il ne fait pas un, en tant que ni la pensée ni le propre ne font inséparablement un avec l’être. Dispenser signifie s’accorder ce retrait essentiel comme possibilité de se dégager de ce qu’est la pensée autant que l’en-propre. Dispenser est alors le mouvement qui permet à l’être d’entrer à nouveau dans ce que peut être l’expérience de la dose. Si dispenser a eu le sens de doser c’est qu’il est le mouvement qui permet à la pensée, non de se désengager de la dépense, mais au contraire de s’engager dans la dispense. La pensée est l’engagement dans la dispense, signifie que l’acte même de la pensée est la possibilité de venir dans l’expérience instable du don et de la dose. Tout ce qui se donne est une dose, est l’expérience métaphysique de l’être, est l’expérience économique du vivant. Tout ce qui ne se pense pas en ces termes est un retrait de l’usage.

La pensée pèse. Dépenser serait enlever le poids de la balance pour que dans sa tension vers l’équilibre ou le déséquilibre le plus parfait – l’expérience de la différence – reste en tant qu’indécision la valeur de toutes choses. Si le retenir c’est faire paraître, que fait paraître la dépense et que retient-elle ? La dépense retient ce qui ne peut-être dépensé et fait paraître la chose comme objet dans la dispense de son don. La chose est une chose en ce qu’elle rassemble « le ciel et la terre », ce qui peut-être dépensé n’est donc que l’aspect de la chose, son pendant, son moment. Celui qui reçoit, reçoit le don partiellement puisque il prend ce qui le concerne ; le reste et la perte sont ce qui sert à faire différence. Est-ce que la réponse est une dépense et la question un versement pour que ce qui se consomme ne soit pas perdu mais transformé ? La lassitude de la dépense est-elle l’instant où la totalité de ce qui peut être dépensé touche à sa fin ?

Retenir c’est faire paraître en tant que quelque chose passe du venir au tenir, en tant que quelque chose passe du regard au garder. Cette garde, cette retenue, cette garance, est la possibilité du paraître. Or nous le savons le problème est l’interprétation de la garde comme économie et comme capitalisation. La capitalisation, au sens propre, opère une garde et une retenue de ce qui a lieu comme dis-parition, c’est-à-dire comme ce qui ne paraît pas, tandis que la dépense laisse advenir une garde comme paraître. La dispense est la possibilité de la parution de la chose. C’est en cela que la dépense est nécessaire puisque qu’elle est chrématistique. C’est pour cette raison que l’objet d’art n’est qu’une garde presque sans paraître, puisqu’il n’est pas ouvert à autre chose qu’à une parution privée et ritualisée. En revanche il est possible d’entendre que ce qui est nommé artistisation soit la possibilité d’un lieu du paraître, en tant que ce qui paraît n’est pas l’œuvre mais l’adresse. Nous n’avons en ce cas ni besoin d’œuvres ni de musées ni de collections. Reste alors à savoir, dans l’usage, ce que retient, encore, le musée et le collectionneur ?

Le musée retient les effluves et cerne les constellations qu’il tente à toute vitesse de stabiliser et d’enfermer dans un signe, ce qui revient sûrement à désartistiser et à coaguler les sens. Si l’on s’en tient à la formule « qu’à régime d’art le langage n’est signe de rien (qui fût autre), mais qu’il exhibe le geste de sa propre construction sémiotique », alors l’artistisation n’est plus possible dans un lieu qui conditionne les langages, les garde pour faire paraitre la systématisation de l’expérience esthétique. Comme tu le dis, l’artistisation est la possibilité du paraître de l’adresse et non pas de l’œuvre ; comment redéfinir le musée pour qu’il s’occupe de la parution des points d’acheminement et non plus de la garde des apparences ? Ce que le collectionneur retient ce sont alors des reliques, des traces d’histoires, des anecdotes, des morceaux de matière qui par ses intérêts se transforment en valeur et leur donnent un sens. Il garde l’objet mais il ne détiendra jamais l’œuvre, si ce n’est comme fantasme et accumulation des aspects. L’objet d’art n’est plus perçu que par un sens obvie, on en oublie qu’il retient lui-même – dans l’idée de sa production – la démonstration de notre puissance d’agir, qu’il est un geste qui montre la propre construction de sa présence ; pour ce faire il faudrait non plus regarder les objets d’art mais leur processus et réinterpreter leurs contextes d’apparition, leurs rythmes. Le musée ajourne la disparition de l’objet, il conserve sa facticité, mais qu’en est-il de la retenue des actes comme actes ?

Le cours Was heißt denken? tente de donner quelques réponses à cette double question que tu poses, le paraître et la garde (ou la retenue). S’occuper de la parution et de la garde des apparences est peut-être ce qu’il faut entendre, précisément, dans ce que l’on appelle penser. Plus exactement ce que khrè dit : il est d’usage. Cette manœuvre particulière suppose alors trois mouvements : d’abord une inflexion profonde vers la chrématistique (le khrè) en tant que pensée de ce qui n’est pas nécessairement disponible ; ensuite une inflexion vers ce que nous pourrions nommer une crise de la garde dans le regard ; enfin une inflexion sur l’élément fondamental de la critique (la krisis en tant que mettre devant), à savoir ce qui concerne. En quoi la garde des actes comme actes nous regarde-t-elle et nous concerne-t-elle ? Or aujourd’hui le musée, à savoir l’institution muséographique (sans doute après le religieux et le capitalisme) ne cesse de vouloir s’en occuper en nous privant de toute possibilité d’en être concerné. Or il nous fait alors penser, c’est-à-dire saisir ce qui est d’usage, dans ce qui nous concerne.

Menu

Hors-d’œuvres & Plats

Battuta di manzo & condiments : radis noir, poutargue, truffes, hibiscus, réglisse, poudre de rose, câprons

Betteraves crues & cuites au feu, très vieux vinaigre de l’Acetaia Reale
& Herbes sauvages du Piémont, huile d’olive Siculum de l’Azienda Villa Ponte

Cèpes de Lozère crus, nepitèlla de l’île de Filicudi

Tomates de monsieur Lherme, vanille Bourbon, huile & verveine fraîche

Mortadelle artisanale de chez Levoni & citrons de Sicile

La Spala Ardenga de Massimo Spigaroli

Mozzarelle a treccia biancche e affumicate, Caseificio la Favorita

Filet de bœuf, herbes, poivre de Voatsiperifery, lard de Colonnata & truffes d’été

Thon cru du Golfe de Gascogne, câpres de Pantelleria & vinaigre blanc

Cervelas à la pistache d’Iran

Fromages (affinage Guffanti)

Gorgonzola di Montagna du Piémont & Canestrato Lucano de Basilicate.

Desserts

Fruits frais de saisons : melon, figues blanches & raisin muscat

Tartes aux framboises & aux poivrons confits

Yaourt de la ferme Koukakis, herbes fraîches,
& miel de châtaignier de Joëlle Gaulin & de Périclès Pachis

Pièces montées, vanille de Tahiti, pistaches d’Iran,
praliné & noisettes du Piémont, fleur d’oranger

Confiture de prunes d’ente à la sauge, à la verveine & au mahaleb

Boissons

Union des Grands Crus de Bordeaux
Champagne Barons de Rothschild Brut
Bas-Armagnac Château de Laubade 1973
Eaux Abatilles

liste des vins

Livret

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Commanditaires : capc, musée d’art contemporain, les amis du capc

Remerciements : Chalotte Laubart, Jean-Pierre Foubet, Nicolas Dartout, Audrey Faesch

crédit photo capc musée d’art contemporain