BANQUET XXX – DE LA MÉMORABLE CRISE
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Banquet de la mémorable crise, donné pour 75 convives le 21 septembre 2020 à Arles
Commanditaires : Grégoire d’Ablon, Margaux Bonopera & Fabien Vallos
dans le cadre de l’exposition Rien n’aura eu lieu
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1. Ama (bonite en feuilles de figuier, recette d’Archestrate de Gela)
2. Brandade de muges, huile de figuier
3. Figues fraiches, raisin muscat, poires, melons, pêches
4. Terrines de sanglier à la myrte (chassé par Alexandre Desson)
5. Tartes aux prunes d’ente & 6. Tartes aux pommes
7. Pains d’Espagne (à manger avec des confitures ou des fruits)
8. Erbazzone (tourtes bolognaises à la ricotta)
9. Légumes à la grecque
10. Artichauts en barigoule
11. Anchoïade (légumes de fin d’été)
12. Moretum (recette de Horace & de Columelle)
13. Courges confites aux herbes & au citron
14. Petites tomates farcies & confites
15. Mozzarelle
16. Tomme des Alpilles
17. Caviar d’aubergines, huile de figuiers
18. Sirop de verveine & sirop de citron
19. Crème renversée
20. Pan bagna
21. Salade de fenouils à l’orange
22. Pains (de chez Jawad)
23. Fougasses d’Aigue Morte
24. Confitures
25. Pain de Gènes aux amandes de Provence
26. Salade de tomates aux herbes
27. Flan pâtissier
28. Tourte à la volaille & aux légumes
29. Salade de pois chiches à la marocaine
30. Panzanella
31. Tatziki & 32. Olives aux herbes, citrons & fenouil
32. Gige de chevreuil, gremolata (chassé par Alexandre Desson)
33. Salade de lentilles, pickles d’oignons (par Grégoire d’Ablon)
34. Tian de légumes
35. Pastilla de volaille
36. Tropézienne à la crème diplomate
37. Vins & eaux
38. Herbes fraiches
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À la fin du xixe siècle et à la fin de sa vie, Stéphane Mallarmé rédige et compose le poème Un coup de dé jamais n’abolira le hasard. De ce poème nous avons emprunté un fragment qui a servi comme titre à l’exposition : « rien n’aura eu lieu » et qui continue ainsi : « que le lieu excepté peut-être une constellation ». Le texte indique encore, comme incise, après le rien initial « de la mémorable crise / ou se fut / l’événement accompli en vue de tout résultat… ». Le banquet servi à la fin de l’exposition Rien n’aura eu lieu porte alors comme titre, un fragment du poème, de la mémorable crise. Il y a donc à la fois dans le poème de Mallarmé et dans une série d’événements l’indication d’un nombre suffisamment mémorable de naufrages. Dans chacun de ces naufrages, alors que les embarcations s’effondrent (autrement dit nos modes d’agir et nos modes d’être) et que les « Maîtres » d’équipage se noient (autrement dit échouent à gouverner), des dés ou d’autres choses sont lancés comme des signes ou des indicateurs possibles. Chez Mallarmé le maître d’équipage qui se noie (celui de la crise du vers) lance des dès pour indiquer le signe de quelque chose à venir et à suivre. Or, s’il y a eu le nombre, c’est-à-dire que les dés ont été lancés, personne ne le connaîtra : il n’aura en fait jamais eu lieu pour aucun des lecteurs. Que les maîtres se noient et qu’ils lancent des dès, mais rien, au sens propre, des mémorables crises ne changera. C’est peut-être cela le geste le plus politique de la poétique mallarméenne. Que les maîtres se noient ! Pour le reste nous ne serons pas en mesure de lire, à aucun moment, les dès qui ont été lancés, simplement parce qu’ils n’ont pas de sens. Le coup de dés jamais ne changera ce qui advient. Que les maîtres se noient et que les dés soient illisibles ! Mais alors de nos mémorables crises, que reste-t-il ? On aurait pu croire qu’il reste une constellation, c’est-à-dire littéralement une série plus ou moins alignés de signes (cum-stella) qui serait alors en mesure de nous venir en soutien comme des modes de conduites ou de considérations (cum-sidera). Mais rien de tout cela n’aura vraiment eu lieu. En somme ces constellations, c’est-à-dire des signes laissés par d’autres, ne sont que la trace des « heurts » successifs qui constituent l’histoire. Mais ce qui importe le plus n’a pas lieu dans les constellations, mais dans un autre geste, indiqué par Mallarmé comme un « sacre » ou plus exactement ce moment où quelque chose arrive à un « point dernier qui le sacre ». La mémorable crise, une fois de plus nous aura fait crier que les maîtres se noient ! et nous fait attendre qu’un point dernier ait lieu comme sacre, autrement dit comme point de rupture. Le point n’est autre que la lecture, celle d’un processus à la fois critique et performatif qui permet la réception de l’œuvre et l’épreuve du contemporain. Le banquet de la mémorable crise est un temps de célébration de ce qui reste après toute mémorable crise et particulièrement celle qui nous est le plus proche et ce que nous devons tenir dans toute lecture : l’épreuve critique et l’épreuve performative. En somme pour l’objet (ici le poème ou bien encore l’exposition ou toute chose) le « maître » n’importe jamais, seule importe l’épreuve performative qui en fait, peut-être, la possibilité d’une œuvre. Et si rien ne devait avoir lieu, alors soit cela reste un objet, soit c’est laissé en suspens, comme en attente, aussi longtemps qu’il le faut, de sorte que quelque chose advienne. Les maîtres sont noyés et les dès sont illisibles !
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