images & hantise

Abstract : Dans le cadre du séminaire Fig. il est question de réfléchir à la hantise, à partir de deux éléments centraux : premièrement les spectres et la hantise proviennent tout autant du futur que du passé et secondement ces spectres ne sont pas extérieurs à l’être, mais ils sont contenus en nous. Nous tenterons de montrer que la sur-mesure et la surabondance des images et des données sont à l’origine de cette violence spectrale. Il y a dans le processus de la « donation » (faire passer le monde à de la donnée), une expérience à la fois bouleversante et spectrale. C’est cela que nous nommons « hantise ». Dès lors c’est la re-présentation qui est à l’origine de cette crise : il faut alors repenser ce que signifie rendre visible, sans hantise. Ce qui pourrait être le sens moderne de ce que nous nommons «poiètique».

h. 1 prélèvement est une violence / 3 surabondances

h. 2 achèvement de la métaphysique 

h. 3 passé sunéidètique et futur hantologique 

h. 4 hantologie ou le défaut d’élucidation de la hantise

c. 1 rendre visible sans hantise 

c. 2 poiètique 

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Dans le cadre du séminaire nous tentons de proposer une réflexion sur ce que nous nommons une conditionnalité de l’image. C’est-à-dire à quelle condition une image peut encore avoir lieu. 

Cette conditionnalité suppose deux interrogations : 1. en quoi produire une image suppose un bouleversement de nos conditions d’existence, 2. en quoi produire une image suppose un bouleversement des conditions de résistance du monde ? 

Le travail du séminaire du laboratoire Fig. a donc consisté les deux années précédentes à travailler sur les bouleversements des conditions de résistance du monde. Qu’est-ce que cela signifie ? Toute prise (comme prélèvement ou encore comme « prise » photographique) est une saisie du monde pour le transformer en matière, en biens, en images ou en données. Or nous affirmons que nous ne sommes pas encore en mesure de penser les conditions de cette prise. Nous avions nommé cette conscience une « sunéidèsis » c’est-à-dire une conscience de l’état restant du monde. Tout prélèvement, tout prise, suppose la création d’un « trou » et la réalisation d’un « tas » comme fonds ou comme données. En quoi l’apparition de ces trous et de ces tas modifie nos conditions d’existence ? Et de résistance du monde ? 

• Notre première hypothèse est de considérer que la création des trous (les prélèvements) à la surface du monde et la production des « tas » (les données) sur cette même surface, génère une grande violence, à la fois sur le monde et à la fois sur l’être qui habite le monde. 

Le monde est l’espace à partir duquel nous nous déployons entre ce que nous nommons le réel (ce que nous n’avons pas produit) et la réalité (ce que nous avons produit). 

La violence quant à elle signifie un dépassement de la puissance, de sorte que ce produise un déplacement, un arrachement, une transformation non acceptée. Cela signifie que nous avons « porté atteinte » à quelque chose et qu’en ce sens quelque chose a été endommagé. 

Or l’histoire de la philosophie (dit Martin Heidegger en 1969) commence avec un problème de übermass, de surabondance. Il y aurait 3 types de surabondance ou de surmesure : 1. celle de « l’entrée en présence du présent » (Heidegger) et qui fonde la pensée grecque et les prémices de la philosophie dans cette inquiétude à cette question. 2. Celle de l’entrée en présence du passé sous la forme de ce qui est laissé après le prélèvement et qui fonde la pensée moderne. 3. Enfin celle de l’entrée en présence d’un proche sous la forme de ce qui s’entasse incessamment sans que nous ne sachions jamais quoi en faire et qui fonde la pensée du contemporain. 3  inquiétudes donc, 3 surabondances – de qui advient, – de l’état de ce qui est après ce qui advient, – de ce qui pourrait advenir à partir de ce qui est. 

• Notre deuxième hypothèse est que nous avons essayer de penser « l’entrée en présence du présent », sans nous en sortir puisque nous l’avons pensée à partir de la seule question de l’être plutôt que de la question de l’agir (ce qui transforme au sens de Marx) et de la question de l’espace, c’est-à-dire de la place qui n’est nécessaire pour que l’être soit (au sens du Dasein chez Heidegger). Ce que l’on nomme aujourd’hui un « aître ». Cet échec constitue l’achèvement de la métaphysique et la nécessité de penser autrement ce que nous nommons « monde ». Il y a un défaut de pensée, un écueil théorique a penser cette « entrée en présence » comme première surabondance. 

• Notre troisième hypothèse est donc de considérer qu’à cela s’ajoute une autre surabondance « l’entrée en présence du passé » – la synéidèsis – soit sous forme de négligence soit sous forme de hantise à considérer la surmesure des « trous » et des prélèvements. Nous serions donc (1). à la fois hantés de ce que nous avons troué et perforé et déplacé et détruit, mais aussi (2). hantés d’une sorte de réclamation à corriger ce que nous avons fait (au sens d’une lecture de l’histoire chez Benjamin) et surtout (3). hantés d’une conscience que nous avons décidés d’être « ininquiétés » de cela. C’est donc à la fois une hantise matérielle (devant les traces) et une hantise conceptuelle puisque nous n’avons pas accès aux sources ni même aux images, mais seulement à la connaissance de ce qui a été produit. Et cette surabondance d’un passé sunéidètique est infinie et elle occupe aujourd’hui l’espace de la pensée. Et c’est précisément cela qui nous hante. 

Mais à cela s’ajoute encore une autre surabondance, « l’entrée en présence du devenir » – l’hantologie – soit sous la forme (ici aussi) d’une négligence soit sous la forme d’une hantise à  considérer la surmesure des « tas » et des « données ». Il s’agit donc d’une surabondance d’un futur hantologique qui occupe à la fois l’espace où nous sommes et l’espace de la pensée. Maintenant il faut tenter de penser cela. 

• Notre quatrième hypothèse est liée à la pensée de Marx : en 1848 la première phrase du Manifeste est « un spectre hante l’Europe, le spectre du communisme ». C’est une hantise d’une entrée en présence du devenir. Mais en 1993, Derrida écrit Spectres de Marx, où il s’agit d’être à la fois hanté d’une entrée en présence du passé (l’échec politique du communisme) et hanté d’une entrée en présence du devenir (la possibilité du communisme). Ce qui signifie que Marx a ouvert la possibilité que les spectres ne proviennent pas exclusivement du passé, mais aussi du futur. Pour cela Derrida invente le terme de hantologie, composé du terme hantise et ontologie. 

L’ontologie est un mode d’interprétation de ce qui est (ce qui entre en présence) à partir de ce qui a été saisie comme « avoir été » (donc du passé) et à partir d’une tentative de compréhension des « propriétés » de ce qui a été saisi.  

La hantise est une affaire d’occupation : hanter signifier occuper d’une manière particulière un espace du monde. Le terme de l’ancien scandinave heimta signifie « conduire à la maison ». La hantise c’est faire co-habiter des éléments qui occupent l’espace d’une manière différente. Ces éléments sont des « spectres ». Un spectre (le verbe specio dit regarder) est ce qui n’a qu’une apparence, sans avoir de teneur matérielle, mais qui se maintient dans les régimes des visibilités et donc qui se maintient dans l’espace pour réclamer cette visibilité. 

L’hantologie est donc un mode d’interprétation et d’élucidation de nos hantises depuis le passé ou depuis le futur. 

Il y a aurait donc pour nous 2 hantologies : l’une qui tenterait une élucidation de ce qui entre en présence depuis le passé, c’est-à-dire une hantise de la brutalité de tout prélèvement et de la brutalité de toute absence de conscience. L’autre qui tenterait une élucidation de ce qui entre en présence depuis le futur, c’est-à-dire la brutalité à venir de toute démesure et de l’impossibilité de les penser. 

Or ces modes d’élucidation ne sont pas encore ouverts. Nous vivons donc avec un nombre considérables de spectres qui hantent à la fois nos espaces et nous-mêmes. Ils hantent c’est-à-dire qu’ils demeurent à la fois dans l’attente d’une élucidation ou d’une réparation ou d’une justice. Mais comme nous n’élucidons pas, nous ne réparons pas et nous ne rendons pas justice, l’espace qui nous serait nécessaire pour advenir vient à manquer puisqu’il est occupé par les spectres. En ce sens nos espaces sont saturés par la réclamation de leur visibilité. Si l’espace vient à manqué, cela signifie qu’il n’y plus assez d’aître pour l’âtre. Il n’y en plus assez deux fois : d’abord parce que cette espace est trouée et emplie de tas et enfin parce qu’elle est habité par des spectres. 

Première conclusion

h. 1 prélèvement est une violence / 3 surabondances

h. 2 achèvement de la métaphysique 

h. 3 passé sunéidètique et futur hantologique 

h. 4 le défaut d’élucidation de la hantise

(c. 1 rendre visible sans hantise / c. 2 poiètique)

nous proposons d’abord d’essayer de penser que l’origine de cette hantise est dans le processus qui « troue » le monde. Ce que nous nommons prélèvement et ce que les grecs nommaient logos. Or il faut bien comprendre que la condition même de l’existence est de prélever. Il faut donc élucider ce prélèvement : c’est ce que nous nommons « caractère de la donation », c’est-à-dire ce qui fait passer le monde à de la « donnée ». La première phase d’élucidation est de considérer que produire de la donnée est une violence et qu’en tant que violence elle produit des spectres et donc une hantise (depuis le passé autant que depuis le futur). 

L’une des tâches de la « donation » est de rendre visible le monde comme représentations. Or ici encore nous sommes face à 3 surabondances : le monde qui se rend présent, sa transformation en visibilités et la réclamation des spectres à demeurer dans le visible. 3 surabondances donc : le monde, l’image du monde, l’image spectrale.  

Seconde conclusion sous forme de question : est-il possible de rendre visible sans hantise ? Autrement dit est-il possible de rendre visible sans que nous en soyons hantés ? Je n’ai pas encore de possibilité de réponse, mais seulement la possibilité d’une orientation. Celle de la question de la poiètique.