Protocole – enquête

Enquête sur la question du protocole en lien avec l’article Commentaires sur l’idée de protocole publié dans le n°77 de la revue l’Art même. Enquête menée auprès de trois artistes, Aurélie Pétrel, A Constructed Word, Dieudonné Cartier.

AURÉLIE PÉTREL

1. Quelle définition donnes-tu au terme protocole ?

Le terme étymologique reflète ma pratique, protocollum en latin c’est « le premier collé », la première feuille du livre, celle qui annonce les règles du jeu d’une histoire à venir. Le terme protocole est intimement lié à la question de l’interprétation, qui est au cœur de mes questionnements. Les œuvres pensées en partition sont un mode opératoire : l’enquête de terrain, le prélèvement avec des prises de vue qui seront matérialisées dans des tirages archivés, puis l’extension par le volume et le dialogue de l’installation avec l’environnement. Le fait d’archiver l’image et de lui imposer une temporalité de sédimentation permet de multiplier les contextes, les points de vue. La méthode protocolaire est volontairement lente, avec des périodes de latence, de repos des images : un ralentissement volontaire.

Aussi, appliquer une démarche de façon répétée, avec une rigueur scientifique puis bifurcante, permet de poser le cadre pour exploser les conventions liées à la photographie et ouvrir les interprétations. Observer des procédures dans la captation des images ouvre sur une photographie étendue dans sa manière d’être pensée et dans ce qu’elle donne à voir, c’est-à-dire que les protocoles induisent une ouverture des possibles sur la réalisation de l’œuvre, sur ses modes d’apparition. Le travail structurel et répété qui questionne la production de l’image va s’ouvrir sur la mise en espace de la photographie et sa perception. Je lie le protocole au geste, celui de prélever, de déposer, puis d’appliquer l’image sur un matériau pour révéler sa texture. Dans ce mode opératoire, l’exposition serait à la fois ce qui a été et ce qui adviendra.

2. En quoi cela détermine ton rapport à l’œuvre et ta production ?

Je questionne le statut de l’image, sa matérialisation, par le biais de la déconstruction. Je procède en plusieurs étapes bien définies.

Le mode opératoire s’échelonne en trois étapes. La première est celle de l’observation sur le terrain, « comme un outil usuel de prélèvement de gestes et de situations » (Alexandre Quoi). L’idée étant de partir d’un contexte, d’un lieu géographique dans lequel il y a des enjeux de société et économiques mouvants et forts. La seconde est la matérialisation des prises de vue en séries sur papier baryté au format standard. Elles sont déposées en état de latence dans un meuble à archives en acier : Images jachères. Ces tirages sont ce que je nomme « prises de vue latentes », en référence au terme technique de la révélation chimique de l’image. Chaque vue est indexées, numérotées par ordre de sélection. Enfin la dernière étape consiste à activer l’image sur des matériaux bruts (bois, verre, acier, plâtre) en considérant l’espace qui accueille l’oeuvre. Ce sont les « partitions photographiques », un état de l’image quasi performatif, qui permet pour chaque espace donné d’activer, de provoquer déplacements et transformations dans l’espace d’exposition.

Le protocole me permet d’échapper à la fixité de l’image, à son instantanéité pour me tourner plutôt vers la mutabilité, l’exercice de la durée. La photographie prend alors de multiples rôles dans un même processus, de l’instrument de mesure spatio-temporelle initial lors de mes enquêtes de terrain, elle devient une unité de mesure qui interagit avec le regard dans l’espace d’exposition.

3. En quoi cela modifie le rapport à l’adresse et à la réception de tes œuvres ?

Choisir des œuvres en partition, c’est démultiplier les points de vue, court-circuiter une réception qui serait trop visible, unilatérale. Dans mes installations, l’image ne se présente qu’à demi. Tout se joue par des ellipses volontaires de l’image exposée. L’image source est réinterprétée en atelier puis dans l’exposition (par le biais de la transparence, l’opacité, la fragmentation) afin de rendre le regard actif, en état de veille. Prendre le parti de l’impermanence des images déployées en « partition » (terme qui renvoie à la notation musicale/interprétation et à la redistribution/chorégraphie), c’est diversifier le regard du spectateur et interroger ses modes d’apparition.

En choisissant des stratégies parallèles d’activation de l’image, je cherche à « excéder » sa visibilité, à étendre la prise de vue à de multiples matérialités, soit le traitement en volume des images dans des installations en intime dialogue avec l’architecture environnante. L’avènement de l’image, par des jeux d’échelle, de fragmentation, de transparence et d’opacité, conduit le regardeur à expérimenter le médium photographique dans sa matérialité plus qu’à le contempler.

 

A CONSTRUCTED WORLD

1. Could you give a definition of protocole?

How to create a document, a series of manners, an interaction with others that will-have-come-to pass? For many years we worked with the idea of not-knowing (making or completing a task or action without sufficient preparation or knowledge). But finally of course if you do something over and over you can’t not know. Writer Fabrice Reymond recommended that we make a partition for what we didn’t-know-would-happen. Also, over the years,  we found that many quick installation plans and sketches bore  a complete likeness to finished projects (that were often out of our control) the finished work looked almost exactly like what had been aroused in a casual impromptu sketch.

Originally I would have said that we do not have a formal systematic protocol that we follow to make a performance, a painting or anything else. The performance unravels as the process of the protocol, the Partition is the protocol.

The protocol can now quite clearly now be seen, given that it has been made visible through the Partition paintings. They are the didiscale, the directions, the script, the technical directions an so on for a performance. Aesthetically, this can be seen in placement of people and objects in the room, that there is little  improvisation — there is room to move but nothing is completely open. In many ways we have seen improvisation as a prescription or demand for a known way of behaving.

Perhaps better explained, our way of working with people and delivering a work, an event, and so on, relied on forming an agreement and way of work together, an agreement that would also be addressed to an audience. There works were about not knowing as a method… yet we were all holding the same pre-written script, partition. Always, never without a collection script (collectively) in front of us.

2. How could you use protocole in your works and how it determine you work?

The color blue has an aspect of the protocol, reoccurring, the tape, the blue screen, it provides one of the links.

All the participants in the performance are always holding, following the script. Everyone knows where everybody else is and will be.

We mainly use the same costumes over and over, they function like layers on the real bodies of the performers.

There is protocol evident in other works, with contract projects, which are often based on people signing a legal contract around not-doing-something thus making a new group that is collective  by leaving an action incomplete or refusing to do it.

3. How it determine the adresse and the reception of your works?

It’s like the performance already exists and is ready-to-hand each time we start. But its like we have to sensitively court what happens and will happen, everything could easily fall apart.

We find out what happened after we have done it. ((Sometimes long and scrupulous readings of what we didn’t-know  we were we were doing, reveal what (actually) happened)) later.

Perhaps better explained, our way of working with people and delivering a work, an event, and so on, relies on forming an agreement and way of work together, an agreement that would also be addressed to an audience. Interventions from the desires and mistakes of other form an important part. We try to be hospitable to what ever arises.

We attempt to make trust with the audience, and that there will be no illusion of suspension of disbelief.

Our performance we made  together is collective, empathetic and responsive, of course it’s not fully collective, empathetic and responsive, but it is more collective, empathetic and responsive, than what was there, before.

 

DIEUDONNÉ CARTIER

1. Quelle définition donnes-tu au terme protocole ?

le protocole serait pour moi une suite d’énoncés, de règles établies, déterminant à la fois les modes d’applications et d’apparition d’une démarche, d’une recherche. C’est en quelque sorte, ce qui détermine la mise en œuvre, l’opérativité d’un ou plutôt du «travail», (c’est-à-dire la réflexion, la réalisation et la concrétisation d’une démarche). C’est finalement une forme de partition à suivre, à activer, à contourner ou à désactiver.

2. En quoi cela détermine ton rapport à l’œuvre et ta production ?

Pour ma part, j’ai toujours été (fasciné – intrigué) par les concepts dits administratifs, c’est-à-dire relevant d’une charge institutionnel, et notamment dans mes recherches sur les modes d’apparition et de mise en scène du «travail».

Je me suis alors particulièrement intéressé à ce qui détermine les gestes de mise en œuvre, c’est-à-dire de réalisation d’une tache, d’une action. Il semble que le protocole permettrait par son activation, de révéler les énoncés et les règles mis en place, et donc le hors-champs ou plus spécifiquement de rendre visible et compréhensible ce qui gravite autour des pratiques de recherche et des démarches de production.

Le protocole, c’est finalement la partition qui détermine l’oppérativitée et la performativitée de l’œuvre.

3. En quoi cela modifie le rapport à l’adresse et à la réception de tes œuvres ?

Dans cette démarche de révélation des modalités de « mise en œuvre » et des phénomènes de gravitation, penser, concevoir et proposer un protocole c’est adresser simultanément la conceptualisation et l’opérativité de l’œuvre (en tant qu’œuvre et en tant que démarche et sujet de recherche).